Ca fait mal
Mémé était une "mamie-gâteau" dans tous les sens du terme, avec elle, j'ai des souvenirs de voyages en train, on jouait au foot, on écoutait Téléphone et Vivaldi,
on distribuait des morceaux de pain à des cygnes blancs magnifiques,
elle lavait mes cheveux avec de la camomille afin de conserver leur
blondeur, elle faisait des gâteaux, plein de gâteaux et la meilleure
soupe au potiron du monde, elle m'avait aussi appris le tricot, la
cuisine... Ma grand-mère était vraiment importante pour moi bien plus
que ma propre mère.
J'ai passé une grande
partie de mon enfance chez elle, mes parents ont divorcé, mon père est
mort, elle était mon soutien et puis j'ai grandi... un peu trop vite.
Tomber enceinte à quinze ans ce n'est pas vraiment ce qu'on attend
d'une petite fille modèle et, que ça l'est encore moins quand celle-ci
refuse d'abandonner son futur bébé. Pour moi, cette grossesse imprévue
était un signe, un don, j'étais déterminée. Est ce qu'elle avait
compris mon choix, je ne sais pas, mais elle l'a accepté. Elle m'a
soutenue, conseillée, elle a assisté à la naissance de son arrière-petite
fille, Puce était comme la vie, magnifique. Plus les semaines
passaient, plus le comportement de ma grand-mère changeait. Selon elle
je ne faisais rien de bien, alors que j'étais simplement une nouvelle
maman qui demandait qu'à apprendre avec son premier nouveau-né. Elle me
mettait progressivement à l'écart de ma fille et empiétait sur mon rôle
de mère. Même si elle était contre cette idée, il me fallait partir,
très vite, c'est que j'ai fait et je n'ai jamais regretté. Il y a seize
ans, elle m'a donc chassée de sa vie et du cercle familial, purement et
simplement. Et ce n'était pas la peine de la faire changer d'avis,
notre belle histoire était finie, c'était une coriace la grand-mère.
Le
temps a passé, cela n'a pas toujours été facile, mais Puce et moi avons
grandi loin de ma famille que j'avais remplacée finalement par une
bande de copains et tout allait bien dans le meilleur des mondes,
j'avais réussi. Je n'ai jamais reparlé à ma grand-mère, elle n'a
jamais cédé, je l'aimais toujours, de loin. J'avais des nouvelles
d'elle, elle en avait de moi par les autres membres de ma famille que
j'ai retrouvés au fil du temps, nos vies ont continué, séparément.
Ma
grand-mère est morte mercredi, elle avait 85 ans. Je ne m'y attendais
pas, cette femme était un roc, je l'imaginais centenaire. Même si au
fond, je ne suis qu'une petite fille qui pleure sa grand-mère, j'aurai
pu faire mon deuil facilement, parce que mourir à cet âge c'est
acceptable mais c'est sans compter ses dernières volontés. Elle a
refusé ma présence lors de ses funérailles... Même sentant la mort
venir à elle, il a fallu qu'elle me gifle une dernière fois, qu'elle
m'assène le coup de grâce. Je n'aurai pas l'absolution, il n'y a donc
jamais eu de pardon, c'est la punition suprême, elle obtient le dernier
mot en l'emportant avec elle dans sa tombe, bien joué Mémé, la blessure
est grande. Voilà pourquoi je fais une pause, je reviendrai quand
j'irai mieux, lorsque j'aurai fini de pleurer comme une madeleine, que
je ne serai plus en colère, que je n'aurai plus mal, parce que ce qu'il
s'est passé entre elle et moi, reste un beau gâchis. Même si elle n'a
jamais mis sa fierté de côté, j'avais espéré qu'elle avait fait preuve
de sagesse, qu'elle avait finalement approuvé ma décision et accepté la
femme que je suis devenue, mais apparemment non.